
Quelques heures après la cérémonie, la réalisatrice nous a confié ses réactions en direct de Los Angeles. Il faut l’avouer, c’est avec une profonde gratitude que nous remercions cette Grande Dame si méritante et toujours disponible, fidèle à notre rédaction !
Cet Oscar est une Victoire ! Il trône sur sa table de nuit, rappelant le combat mené depuis de longues années derrière la caméra. Un aboutissement mais Euzhan Palcy a encore tant à raconter et à filmer ! Un Oscar honorifique dont elle espère beaucoup… que les portes se réouvrent enfin pour faire aboutir tous les scénarios prêts à être portés à l’écran.
Touchée par l’accueil, affectueux ou admiratif du monde hollywoodien du 7 ème Art, la magnifique cinéaste rayonne. Elle conserve en mémoire une phrase redondante ce soir particulier « Félicitations mais ça fait longtemps qu’on aurait dû vous décerner cet Oscar ». Et cette fois, elle n’est pas dans un rêve comme elle a pu le croire lorsqu’en juin dernier, 48 h après avoir reçu la médaille de la SACD, le Président de l’Académie l’appelle : « je me disais « Wait a minute ! je rêve, je rêve ou quoi ! Je me pince pour savoir si j’avais bien entendu !
Le Président semble même s’excuser « c’est nous qui sommes vraiment honorés car il y a longtemps que nous aurions dû vous donner cet Oscar !
Mieux vaut tard que jamais … »
Honneur à La Martinique
Inscrite dans les mémoires du cinéma hollywoodien et universel, cette soirée c’est aussi l’Oscar de La Martinique, petite île qui s’est fait connaître au point d’inspirer le nom d’un hôtel à Los Angeles. Car même si l’histoire de la Martinique leur est éloignée, en revanche Rue Case Nègre parle aux américains ! Il n’y a qu’à entendre la salve d’applaudissements dans la salle à l’évocation du film, « notre histoire résonne en eux et quand ils voient ce film, les américains s’y reconnaissent, les valeurs y sont universelles ; J’ai pu me rendu compte à quel point Rue Case Nègre est un film fondateur et a marqué les mémoires. Les Américains ne l’ont pas oublié. Un film qui n’a pas vieilli si on en juge par les réactions de jeunes réalisateurs. »
L’Oscar d’une cinéaste exigeante
Cette récompense de l’antre Hollywoodien adoube le talent d’une cinéaste qui a su filmer l’universalité intemporelle : « On pourrait trouver toutes sortes de raisons mais quand je filme, c’est avec mon cœur, mes films ont un certain rythme, le montage nerveux, la bande son
aussi importante que l’image. Tout ça réuni, et comme on parle de l’humain, de valeurs universelles, la nouvelle génération adore aussi. »
Une exigence technique qui rejoint le désir de transmission affirmant « Je ne crée pas pour mes aïeux, mon travail est inscrit dans le temps présent, et demain. C’est important que ces jeunes connaissent leur histoire qui n’est pas racontée dans les manuels et sur les bancs de
l’école ».
Et pour ceux qui connaissent la femme de parole qu’elle est, on ne s’étonnera pas de la voir accompagnée par deux lycéennes qu’elle a tenu à inviter pour cette prestigieuse cérémonie : « j’ai tout fait pour que 2 jeunes de Martinique soient présents à la cérémonie et à ma table officielle ; Salomé du collège Euzhan Palcy, et Erinne du lycée Schoelcher où Aimé Césaire a enseigné pendant des années et ou Zobel était ‘pion’ comme on disait alors ». Elle a d’ailleurs tenu à souligner dans son discours « Je voulais qu’elles soient là avec nous parce que si je fais des films, c’est pour cette génération en Martinique. »
Un engagement auprès de la jeunesse qui n’est pas récent « C’est dans la droite ligne de ce que j’ai toujours fait. Dans la négociation de mes contrats, j’ai toujours stipulé la présence de 10 stagiaires dont 6 jeunes filles vue la pénurie de filles dans le métier ».
Fascinées par ce qu’elles ont vu, le but est de voir que c’est possible et qu’à leur retour elle fasse une belle présentation de ce qu’elles ont vécu.
« SI TU VEUX ALLER VITE, VA SEULE, SI TU VEUX ALLER LOIN , ALLONS ENSEMBLE. »
Un célèbre proverbe africain dont elle incarne à regret le contre-exemple. Cet Oscar d’Honneur ne fait pas oublier l’amertume de toutes ces années et les combats menés. Lasse de ce terme de « Pionnière » qui est certes glorifiant mais peut s’avérer frustrant : « Être Pionnière n’est pas une sinécure ! A quoi cela sert-il si on ne peut pas poursuivre ! Cela peut être assez douloureux à vivre.
J’ai souvent dit que j’étais fatiguée d’être la première de trop de premières !
Et jusqu’à présent, parce que j’ai fait un choix de cinéma, ce qui ne plaisait pas forcément à Hollywood, pas plus qu’en France. Je me souviens avoir proposé un sujet sur la 1 ère guerre mondiale dont l’aide à l’écriture été refusée par le comité composé ‘de français de souche’ comme ils disent. Ils ne voyaient pas la petite histoire dans la grande ! C’est quoi la petite histoire ? et la grande ? Le point de vue des Antilles, de jeunes antillais partis se battre pour sauver la France ne font-ils pas partie de la grande Histoire ? Comme on dit « la paille a fait exploser le dos du chameau ! »
D’où mon départ pour les Etats-Unis ; Je préférais avoir à me battre dans un pays où j’étais vraiment étrangère que dans mon pays où l’on me traite comme une étrangère.
On vous dit que vous êtes français mais vous découvrez que vous êtes français entièrement à part !
Un journaliste s’interrogeait d’ailleurs sur la façon dont nous sommes traités en France ; il trouvait curieux que le Festival de Cannes ne m’ait jamais sollicitée comme Présidente du Jury et encore moins comme membre du jury alors qu’on va chercher des afro américains…
Que répondre ? Demandez-leur ! Je ne suis pas une mendiante ! »
« People do to see you » !
Les longs métrages empilés sur ses étagères devraient trouver des producteurs si on en juge par les témoignages et réactions dans la salle du Dolby Theater. ; des témoignages forts d’Ava Duvernay ou de la fille de Robert Redford devenue réalisatrice en découvrant Rue Case Nègre à Sundance. Euzhan compte aussi sur le puissant discours très sincère de Viola Davis qui très émue, évoque un combat commun de femme noire dans une Amérique raciste, ségrégationniste en disant ‘tu m’as inspirée’.
« Au fond de moi j’étais certaine que ça allait changer ! Je ne pouvais pas dire quand, mais j’en étais certaine ! Je suis heureuse d’avoir attendu et d’avoir refusé les gros chèques proposés pour des projets qui ne m’intéressaient pas. Je ne suis pas venue au cinéma pour
servir la soupe aux autres.
Aujourd’hui les événements font mentir ceux qui pensaient que le monde noir n’intéresse personne. Tout le monde se jette sur l’Afrique à la recherche de projets « black ». Le cinéma franco-africain va donner de l’oxygène à la production française ».
« Je voulais tenue de guerrière, il m’a fait une tenue de Reine »
Solaire, la petite fille martiniquaise galvanisée par une grand-mère qui lui disait que rien n’est impossible , est apparue dans une tenue de Reine Guerrière magnifiquement confectionnée par le styliste libanais George Hobeika !
« J’avais envie d’avoir une tenue de guerrière et c’est devenu une tenue conforme à ceux qui m’appellent « The Queen » à l’instar d’Ava Duvernay ou comme Aimé Césaire qui nous a quitté et qui m’appelait « ma petite guerrière » !
Et c’est vrai ! Je suis une guerrière ! Je suis née comme cela, j’ai une âme de guerrière. Si ce n’était pas le cas, je n’aurais pas pris les risques en Afrique du Sud, où à Soweto sous un faux nom, rusant avec la section ‘spéciale de la police’sud-africaine pour obtenir le témoignage de gens torturés et ramenant des cassettes scotchés sur mon ventre ! Beaucoup me mettaient en garde, voulant me dissuader par peur que je sois tuée. Si je dois mourir, que ce soit au combat !
Je ne peux pas m’appeler Euzhan Palcy Réalisatrice et me poser des questions ! Ce n’est pas moi çà ! Je fais pas les choses à moitié ! »
Merci Euzhan Palcy d’être celle que tu es !
Catherine LASKI